FARC : RENDRE LES ARMES


A Anori en Colombie dans le département d’Antioquia, le Front 36 des FARC du Bloc Efraín Guzmán avance peu à peu vers la paix. Le Commandante jette un regard circulaire sur le camp,
« nous ne sommes ni vainqueurs, ni vaincus ». 

Béret frappé du drapeau de la guérilla enfoncé sur la tête, Anderson Figuero est le commandant du Front 36 des FARC du Bloc Efraín Guzmán. Sur son t-shirt, un grand portrait de Che Guevara et cette citation « Je préfère mourir debout que de vivre à genoux ».

Après trente-deux années passées dans la clandestinité à s’affronter aux militaires de l’armée colombienne, il a mené les hommes et les femmes du Front 36 à la paix, comme le prévoient les accords signés entre les dirigeants des FARC et le gouvernement en novembre 2016 à Bogota. 

Cette paix, le Commandante Anderson y croit sincèrement. Il assène « C’est un pays magnifique. Pour moi, « la Paix », c’est vivre dans un pays où il fait bon vivre socialement, économiquement, avec une éducation digne et avec des métiers dignes. Aujourd’hui, le temps des armes est fini. Le temps est venu pour nous de continuer la lutte pour le peuple, mais politiquement. Pour sortir le peuple de la misère, car nous n’oublions pas les inégalités dans notre pays ».

Pourtant, la fin de la guerre était loin de faire l’unanimité lors du référendum organisé le 2 octobre 2016, où plus de 50% de la population s’est opposée aux négociations entre l’Etat et le mouvement révolutionnaire. A ceux là, le Commandante répond
« les gens sont plus intéressés par la paix que par la guerre. Vous êtes contre la paix ? Venez donc vivre la guerre ! ». 

Ils sont encore 120 combattants à répondre sous les ordres d’Anderson Figuero sur le camp d’Anorí. Parmi eux, 40 guérilleras, soit un tiers des effectifs.

Ils sont arrivés en janvier sur ce Point de Transition, zone sous observation de l’ONU où ils s’apprêtent à suivre des formations et ont commencé à déposer les armes.

Le Point de Transition dit « La Plancha » est en réalité un grand campement posé sur des collines, près d’une petite route de terre qui mène à Anorí, ville la plus proche à deux heures de route. Si au premier abord, la cinquantaine de petites tentes vertes peuvent paraître d’un confort bien sommaire, Alex, un jeune combattant de 21 ans, s’en contente. « Nous devions tous les jours changer d’endroit lorsqu’on était en guerre. Aujourd’hui j’ai une vraie tente, un vrai lit, c’est confortable ! » dit-il, assis entre sa vaisselle bien ordonnée et une vieille kalashnikov. Sur son temps libre, Alex apprend à jouer de la guitare. Quelques accords grattés sous sa tente inondent le campement alors que le soleil tape déjà fort sur les bâches vertes. Engagé dans la guérilla depuis huit ans, la paix décidée par ses chefs lui convient, « je vais apprendre la mécanique pour réparer des motos. Avec la paix, on va pouvoir avoir une vie différente. Mais je continuerai à lutter pour ce pays, sans fusil ».


Car les armes, il va falloir s’en séparer et pour certains d’entre eux, cela sera difficile. C’est le cas de Robinson, 18 ans. Il est entré dans la guérilla à 12 ans, « j’avais le choix entre ça ou être paysan, j’ai préféré vouloir défendre le peuple » dit-il, répétant le discours idéologique bien rôdé de la guérilla communiste. Il vit depuis toujours avec une arme, « mon premier fusil était un vieux Remington, mais maintenant j’ai une AK47 ». Si il va suivre une formation en agriculture, il sait qu’il n’en fera pas son métier ensuite, « je travaillerai dans la sécurité privée » avoue le jeune homme au visage marqué. 


Il y a trois ans, il a rencontré Marjorie dans la guérilla, sa petite amie. Il sait que son futur est à ses côtés, avec elle. D’autres, comme lui, ne se séparent jamais de leurs armes. Sur les chemins escarpés qui séparent les petites cabanes entre elles, quelques guérilleros arborent encore un uniforme impeccable et gardent leur fusil d’assaut en bandoulière en permanence. Mais dans la zone de démobilisation, la plupart des combattants sont habillés en civil et désarmés. 

Le soleil n’est pas encore levé lorsque le réveil sonne pour les guérilleros. Le Commandante résume en trois mots le matin type chez les FARC : « rassemblement, café, rassemblement ». A cinq heures trente exactement, deux coups de sifflets résonnent jusque dans la vallée en contrebas. Les chefs de section passent en revue leurs troupes et organisent la journée en donnant des tâches à effectuer à chacun d’entre eux. Ce premier mars, le désarmement de la guérilla des FARC a officiellement commencé. Les observateurs de l’ONU, basés dans un camp à un kilomètre de celui du Front 36, vont venir récupérer quelques armes que les guérilleros auront auparavant listées avec leurs numéros de série. Une trentaine de policiers sont eux affectés à la protection des observateurs du Mécanisme de Surveillance et de Vérification. Cette entité, chargée de l’observation du cessez-le-feu, comporte des membres des forces de police qui représentent l’Etat colombien, des guérilleros des FARC, ainsi que des représentants étrangers de l’ONU. Retirant sa casquette à l’ombre d’une des constructions de l’ONU, un des agents se félicite du bon déroulement des choses sur le camp d’Anorí, « auparavant, c’était très violent », dit-il, « on n’avait clairement pas de bonnes relations avec la guérilla. Mais aujourd’hui, avec le processus de paix, tout se passe bien. C’est un moment historique pour la Colombie. Avec les armes que les Nations unies vont récupérer, un monument va être érigé à Bogota pour célébrer la fin de cette guerre »

Lorsque la nuit tombe, c’est un énorme générateur qui produit l’électricité pour l’ensemble du camp. Sur les coups de dix-huit heures, le moteur se met en route. Depuis les collines qui étaient encore quelques secondes auparavant plongées dans un calme presque religieux, des cris d’allégresse et de joie fusent. Les ampoules s’allument une à une et les guérilleros sortent de leurs tentes. Le point de rendez vous : la seule et unique télévision de la zone de transition, calée entre deux posters appelant à la paix et une bibliothèque abritant des piles d’ouvrages sur la vie de Che Guevara, d’Hugo Chavez ou contant l’histoire de la révolution cubaine. Ici, celui qui tient la télécommande est tout puissant. C’est ainsi que samedi soir, les FARC ont regardé deux films en parallèle, Ratatouille et Batman Begins.

Ce mercredi, un des commandants s’adresse aux FARC du Front 36 réunis dans la salle télé, « Si les accords de paix ont été signés, c’est que nous ne sommes pas des terroristes. C’est que la communauté internationale a vu que nous nous battions pour le peuple colombien et a reconnu la légitimité d’une lutte armée ». Les troupes applaudissent d’un seul coup. « Si vous n’avez pas de questions, vous pouvez y aller », conclue-t-il. Les guérilleros se lèvent, chacun avec sa chaise et son fusil, puis vont se coucher sous leurs tentes respectives, à l’abri du froid qui tombe rapidement. Une à une, les lumières s’éteignent sous les bâches vertes. Il est vingt deux heures lorsque le générateur se coupe, faisant revenir sur le camp un silence que seuls brisent des chuchotement et des rires venant des petits cabanons. Demain, les FARC continueront à lister leurs fusils d’assaut pour les rendre aux Nations unies, dernier rempart avant une paix complète, sans armes.

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